Polémique de haute altitude
(Photo : AFP)
C’est une véritable guerre du foot que vient de déclencher, en Amérique du Sud, la Fédération internationale du football, la Fifa, qui a interdit le 27 mai les matches à plus de 2 500 mètres au-dessus du niveau de la mer. La Fifa motive cette décision – prise par son comité exécutif à la veille de son 57è congrès des 30 et 31 mai à Zurich – par le souci de préserver la santé des joueurs dont les performances physiques s’avèreraient inégales face aux effets de l’altitude. Tout particulièrement concernés par cette mesure, qui vise un sport roi dans des capitales comme la Bolivienne La Paz (3 600 mètres), la Colombienne Bogota (2 600 mètres) ou l’Equatorienne Quito (2 800 mètres), les pays andins d’Amérique du Sud se rebellent, le Bolivien Evo Morales en tête.
«Pour des raisons médicales et donc dans un souci de mieux protéger les joueurs, le Comité exécutif a décidé qu'il serait désormais interdit de disputer des rencontres internationales à plus de 2 500 mètres d'altitude», indique le communiqué, plutôt laconique, de la Fifa. Une déclaration de guerre pour les pays andins qui voient derrière cette décision la main malveillante des grands nations «footballistiques» de la région, le Brésil et l'Argentine. Ces derniers auraient exercé des pressions dans ce sens pour contrecarrer la décision du Pérou de disputer les matches de sélection pour le Mondial 2012 – qui aura lieu en Afrique du Sud –dans le stade de Cuzco, la cité impériale des cieux andins, à 3 300 mètres d’altitude. Les Boliviens se rappellent, en tout cas, qu’ils avaient battu l’équipe du Brésil, en 1993, dans le ciel de La Paz, ce qui leur avait valu d’être qualifiés pour le Mondial de 1994 aux Etats-Unis.
Bref, le Brésil et l'Argentine répugneraient à jouer en altitude. Mais en Bolivie, le seul stade à hauteur de plaine (450 mètres) est à Santa Cruz, la deuxième ville du pays, une cité où l’opposition au régime Morales est majoritaire.
Morales invoque le droit des peuples à jouer au foot
Dès lundi, le président bolivien, Evo Morales, est entré en croisade, faisant une affaire d’Etat de cette décision de la Fifa «qui porte atteinte au droit légitime des peuples à la pratique du football» et «méconnaît le principe d'égalité et d'universalité inscrit dans la déclaration des Droits de l'homme des Nations unies». Il a demandé par écrit à la Fédération de faire machine arrière, lançant «un appel aux présidents frères d'Argentine, du Brésil et des autres pays d'Amérique latine, mais aussi à la Fifa, afin que les peuples vivant en altitude ne soient pas exclus de ce sport». Il a aussi proposé d’organiser un front régional du refus le 6 juin, à La Paz.
Epris de foot, Evo Morales n’a pas non plus hésité à payer de sa personne sur la place des Armes de la capitale, où siègent les pouvoirs exécutif et législatif, dans un match de circonstances à huit, avec ses plus proches collaborateurs, faisant valoir que si des fonctionnaires de la République peuvent sans dommages jouer au foot en altitude, cela ne devrait poser aucun problème à des joueurs professionnels. «Sans football, il n’y a plus d’unité en Amérique du Sud», a-t-il en outre martelé pour conclure sa prestation.
A La Paz, la Communauté andine des nations (CAN) est, elle-aussi, montée au créneau lundi, son président, Freddy Ehlers indiquant que l’organisation économique régionale qui regroupe la Colombie, le Pérou, l'Equateur et la Bolivie prendra «toutes les mesures nécessaires pour amener la Fifa à reconsidérer sa décision». «Nous discutons avec les autres pays concernés (Colombie, Bolivie, Pérou et Mexique) pour constituer une plate-forme commune de protestation», a renchéri, mercredi, la ministre équatorienne des Affaires étrangères, Maria Fernanda Espinosa. Et, en guise de pied de nez à la Fifa, mercredi, des centaines de personnes parfois très âgées ont fait des exercices en plein air à Quito, à 2 800 mètres d’altitude, tandis que le président de la Fédération d'Equateur, Luis Chiriboga, jurait que son pays «défendra jusqu'à la mort son droit» d’organiser des matches et relevait que «si on ne peut pas dire que des joueurs sont morts pour avoir joué en altitude, en revanche on peut signaler les cas de joueurs décédés pour avoir joué en plaine à cause de la chaleur excessive».
Ballon d’oxygène pour Ronaldo à Quito
Ce n’est pas l’avis du footballeur de légende brésilien, Pelé. «La seule chose que je ne comprends pas, dit-il, c'est pourquoi la décision [de la Fifa] n'a pas été prise bien avant». Il estime, pour sa part, que jouer en altitude porte préjudice aux joueurs originaires des plaines, rappelant que lors des éliminatoires du Mondial 2006, Ronaldo avait dû s'oxygéner à la mi-temps d'un match contre l'Equateur, à Quito. Pour le sélectionneur du Paraguay, l'Argentin Gerardo Martino, l’interdiction des matches en haute altitude est aussi «une bonne nouvelle». Il suggère au passage que les pays concernés ferait mieux «d'améliorer leurs équipes plutôt que d'user de l'avantage de jouer en altitude».
Il est vrai que selon les données du Cismef (le catalogue des sites médicaux francophones), au-delà de 2 500 mètres, la diminution de l’oxygène en altitude peut entraîner «une réduction de la performance physique, une ventilation accrue et des symptômes comme les vertiges, la fatigue, des troubles de la perception ainsi que des troubles du sommeil» et même le «mal aigu des montagnes (MAM), l’œdème pulmonaire de haute altitude (OPHA), l’œdème cérébral de haute altitude (OCHA) ainsi que diverses autres affections».
«Le risque de souffrir d'une maladie liée à l'altitude augmente en fonction directe de la vitesse d'ascension et de l'altitude atteinte», indique ce site professionnel qui souligne l’amélioration des performances en cas d’acclimatation et les risques parfois mortels dans le cas contraire.
par Monique Mas