le paradoxe du résultat.
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Depuis la rénovation en 1986 des Jeux Olympiques par le baron Pierre de Coubertin, le sport n'a cessé de se développer et d'exercer une influence déterminante sur l'évolution de notre société moderne. Aujourd'hui, une Coupe du Monde de football rassemble dans le même temps autour d'un même centre d'intérêt plus d'individus que n'importe quelle autre activité humaine. Bel exemple de synchronisation planétaire... Les enjeux ne sont plus simplement sportifs : ils sont devenus économiques et politiques. Longtemps avant le début de la 1ère épreuve, les jeux Olympiques font l'objet d'une compétition acharnée entre pays candidats à leur organisation. Leurs tractations sont souvent souterraines et longues et les retombées larges et éloignées du sport. Les J.O. 2008 de Pékin ont fait couler beaucoup d'encre à ce sujet... La belle phrase du Baron : "L'essentiel, c'est de participer", n'est plus vraiment d'actualité. Elle a depuis longtemps été remplacée dans les médias par : "Seule la victoire est belle". Le sportif n'existe que par ses résultats. Le spectre de la défaite et des contre-performances a vite fait de la précipiter dans les oubliettes des chroniques sportives. Les Bleus champions du monde élevés au rang de demi-dieux de 1998 à 2002 eurent tôt fait d'être raillés et mis à bas dès lors que leur brillante étoile les eut quittés. Marie-José Pérec, la gazelle étincelante des Jeux de Barcelone et d'Atlanta, après son naufrage sportif et médiatique des Jeux de Sydney, se vit interdire l'accès à un stade d'entraînement chez elle à la Guadeloupe. En célébrant à grand renfort de paillettes et de olas les exploits des athlètes et des équipes qui gagnent, en mettant en scène à longueur d'année ce culte de la victoire, les chaînes de télévision et les magazines spécialisés ont fini par créer une fascination pour le résultat qui occulte la réalité du sport. En se laissant abuser par le miroir déformant des médias, on pourrait en arriver à croire que si seule la victoire est belle, c'est que forcément la défaite est laide ou encore que si un individu n'existe que par ses résultats, alors l'absence de résultats le condamne au néant et à la nullité. Or, il est réconfortant de constater que le parcours d'un champion est jalonné de réussites et d'échecs, de défaites et de victoires. Et ce qui fait précisément la différence entre le champion et les autres, ça n'est pas son aptitude à gagner, mais cette capacité exceptionnelle et hors du commun de résister à la fois à l'échec et à la réussite, d'être capable de surmonter la frustration, les regrets et le découragement liés à la défaite tout en évitant le relâchement, l'euphorie et l'autosatisfaction liés à la victoire. Lorsqu'on prête un oeil et une oreille attentifs aux paroles des champions, on se rend compte qu'il y a, chez ces sportifs qui gagnent plus souvent que les autres (il faut bien le dire), un rapport au résultat fait de détachement et d'acceptation. Et en même temps, une volonté farouche de s'engager à 100% dans l'action, une détermination sans borne à agir, à avancer, quoi qu'il arrive, quels que soient les obstacles. Le secret de leur efficacité pourrait bien résider dans cette faculté à se concentrer sur l'action et non sur les résultats, à se fixer sur ce qui dépend de soi. Bien sûr, tout le monde veut gagner, tout le monde veut avoir des résultats. Si l'on admet en toute logique que les résultats dépendent des actions entreprises, alors il est juste de dire que plus un individu se concentre sur les actions à mener et plus il accroît ses chances d'obtenir des résultats. En mettant ainsi le résultat en arrière plan, il peut aborder défaite et victoire d'un esprit égal sans dévier de sa trajectoire. A l'inverse, plus il se focalise sur le résultat, plus il se crispe sur l'enjeu, plus il perd de vue les actions à entreprendre, et plus ses chances d'obtenir ces résultats s'amenuisent. Car, en se trompant d'objectif, il génère sans s'en rendre compte une pression limitante. Dès lors, défaite et victoire exercent sur lui une emprise dont il n'a pas idée. C'est là le paradoxe du résultat : plus je veux le résultat, moins je l'obtiens et plus je lâche prise sur le résultat, plus j'ai prise sur lui. La plupart des champions d'exception l'ont compris et c'est cette attitude vis à vis du résultat qu'il paraît intéressant de modéliser chez eux. Elle tient en une phrase : "L'enjeu ne doit pas tuer le jeu". Formulée affirmativement, elle devient : "Le jeu prime sur l'enjeu". Néanmoins, quand on voit de plus en plus de couronnes et de médailles entachées de suspicion, on peut se demander à juste titre si le monde sportif n'est pas en trait de créer des anti-modèles. Qu'est-ce qui pousse un sportif et son entourage à utiliser des moyens non écologiques tels que le dopage et la corruption pour parvenir à leurs fins ? L'engrais de ces deux fléaux du sport moderne, c'est précisément la recherche obsessionnelle de titres et de records, la fascination du résultat, rendue plus grand encore par la pression médiatique, économique et politique. La fin justifie t'elle les moyens ? Les enjeux périphériques au sport ne sont-ils pas en train de tuer le sport, de vider le champion de son aura et de priver les jeunes générations de modèles éthiques pour grandir et avancer sur le chemin de la vie ? Si c'est une efficacité écologique sur le long terme que l'on recherche, alors les modèles sont à choisir avec discernement et il convient de gratter pour voir ce qu'il y a derrière le papier glacé des magazines et au-delà du mirage de l'écran de télévision... Sportivement - Antoni Girod |