Bienvenue au F.C St Leu et aux autres Footeux

Le Tour n'est pas inhumain

Cyclisme-Photo : Emmanuel Valler / DPPI
 Cyclisme-Photo : Emmanuel Valler / DPPI
 
Observateur du dopage, pourfendeur du " système ", le Dr Jean-Pierre de Mondenard est à la fois détesté et admiré pour ses prises de position qui tranchent dans le vif à propos d'un sujet où l'on pratique volontiers l'omerta. Interview en guise de tour d'horizon.

Comment expliquer, simplement, qu'un sportif, et pas seulement un coureur, en vienne à se doper ?
Dr Jean-Pierre de Mondenard : " Il y a sans doute un faisceau de raisons, mais, fondamentalement, c'est la compétition qui provoque le dopage. Y compris la compétition par rapport à soi.

C'est-à-dire ?
Une enquête autrichienne, par exemple, a montré en 1993 que, dans un milieu montagnard amateur, certains alpinistes s'étaient dopés aux amphétamines pour atteindre un sommet à 3 700 m. Parmi les 253 personnes testées anonymement, aucun de ceux qui renonçaient à 2 500 m n'étaient dopés. Ils étaient 2,7 % parmi ceux qui abandonnaient à 3 200 m et 7,1 % parmi ceux qui parvenaient à 3 700 m. Or il n'y avait ni télévision ni prix en espèces à gagner, ni " légion d'honneur " à recevoir au sommet. Simplement une satisfaction personnelle.

Peut-on donc parler de triche envers soi-même ?
Bien sûr, mais ces alpinistes n'en avaient pas forcément conscience. La triche liée à la compétition est peut-être dans la nature humaine. Une récente étude américaine montre que 61 % des étudiants trichent aux examens. Pourquoi voulez-vous que le sport échappe à ce phénomène ?

Si la compétition est le vecteur n° 1, quelles sont les autres causes du dopage ?
La médiatisation est un autre facteur évident. Être le premier, le meilleur, être adulé, avec l'argent qui en résulte, est un moteur puissant.

A propos du Tour de France, on dit souvent que la dureté de l'épreuve, 3 000 km à effectuer en trois semaines, serait la première cause du dopage et...
C'est faux ! Si ce n'était qu'un problème de distance, on ne verrait pas tous ces cas positifs sur 100 m en athlétisme. Par ailleurs, le cyclisme est un sport que je connais parfaitement. Je roule 15 000 km par an. Par passion, j'ai gravi 160 cols en trois semaines. Le Tour n'est pas inhumain. Ce qui est impossible, c'est de le courir à 41 km/h de moyenne. Mais à 37 km/h, c'est possible sans se doper. Dans ce cas, il y aura des défaillances, des leaders prendront 20 minutes de retard dans une étape, ce sera un autre Tour, d'ailleurs plus passionnant. Mais encore une fois, ce n'est pas la difficulté de l'effort qui fait le dopage.

Pourtant, et c'est injuste, le dopage colle avant tout au cyclisme. Comment l'expliquez-vous ?
Peut-être parce que le détonateur fut Fausto Coppi. En 1952, il déclarait à la RAI, la télévision italienne : Ceux qui disent qu'ils ne prennent pas la bomba (comprenez des amphétamines), sont des hypocrites. Un journaliste lui demanda : Et vous, que faites vous ? Coppi répondit : J'en prends quand j'en ai besoin. C'est-à-dire ?", poursuivit le journaliste. Quand je cours , conclut Coppi. La culture du dopage associée au vélo prend peut-être naissance à ce moment-là.

Cyniquement sans doute, le public se demande si le dopage change la donne. Autrement dit, il fait l'amalgame et se dit que si les coureurs sont tous dopés, les meilleurs doivent gagner...
On ne peut pas parler du dopage avec autant de désinvolture. C'est un véritable enjeu de santé publique. Savez-vous par exemple qu'un footballeur américain pro sur deux meurt à 47 ans ? Que des enfants d'athlètes est-allemandes ont eu des pieds-bots et des malformations cardiaques ? Pour répondre plus précisément à votre question, la prise d'EPO peut faire un champion d'un coureur moyen.

On constate, malgré tout, une réelle volonté de lutter contre le dopage dans le milieu cycliste. Cette lutte est-elle perdue d'avance ?
Non. Mais on s'y prend trop mal pour gagner...

Pourquoi ?
Cette lutte est confiée au monde du sport et que cette consanguinité, sans jeu de mot, est excessivement malsaine. Que dirait-on d'un jury d'assises qui serait composé de membres de la famille de l'accusé ? Pourquoi voulez-vous que les plus hautes autorités sportives, les dirigeants qui sont souvent d'anciens athlètes et qui ont baigné dans le dopage changent la donne ? Ils sont dans leur loft, ils s'y sentent en sécurité. C'est vrai dans tous les sports. Quand Cannavaro se filme en 1999 en train de s'injecter du Neoton, un produit qui n'est certes pas sur la liste des substances interdites mais qui sert en cas d'intervention cardiaque, en réanimation ou après un infarctus et que cette vidéo est diffusé en 2005, que se passe-t-il ? Rien. Cannavaro est capitaine de l'équipe d'Italie championne du monde en 2006. Quand il était ministre, Lamour a dit une chose juste : Il faut que le cyclisme accueille des gens extérieurs pour lutter efficacement contre le dopage. Il faudrait confier cette lutte à des agences indépendantes, payées en fonction de leurs performances. Là, ça changerait. Les grandes affaires, en Italie ou en Espagne, sont sorties parce qu'elles avaient pour origine des enquêtes de police, pas des contrôles " sportifs ".

Pourquoi avez-vous déclaré que la lutte antidopage est faite pour les dopés, pour labelliser propres les tricheurs...
Parce que depuis les années 1967-68, on est passé aux produits indécelables. Aussi, quand Armstrong dit : J'ai subi 300 contrôles négatifs, donc je ne me dope pas, il ne prouve rien. Ensuite parce que les laboratoires recherchent des produits que les athlètes ne prennent plus. Enfin les tests sont toujours en retard par rapport aux dopés. On sait depuis les J.O. de Moscou en 1980 que l'hormone de croissance est utilisée, elle n'est toujours pas détectée sur le Tour. On apprend à Calgary, en 1988, que l'EPO est apparu. Il faut attendre 2001 pour voir le premier cas positif sur le Tour. Les corticoïdes ont fait leur apparition sur le Tour en 1960, ce n'est qu'en 1999 qu'on introduit le premier contrôle. D'une certaine manière, c'est la lutte antidopage qui fait la promotion du dopage. Les sportifs se disent qu'on a peu de risque de se faire prendre.

Pourquoi parlez-vous ainsi quand d'autres préfèrent garder le silence ?
Pour empêcher de dormir ceux qui trichent. Et puis je voudrais que le public comprenne, qu'il décrypte ce qu'il voit."

Propos recueillis par Bruno Clement


08/07/2007
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 12 autres membres