On a vu, en effet, "60 millions de consommateurs" publier une étude qu'on peut juger irresponsable puisqu'elle concluait que "la fumée de cannabis contient sept fois plus de goudrons et de monoxyde de carbone que celle du tabac", or, s'il n'y a rien de neuf là-dedans, il est faux que le tabac soit moins dangereux que le cannabis même s'il contient moins de goudrons ! C'est ce qu'on sait depuis longtemps par l'épidémiologie, et qu'on vient de vérifier encore une fois : le tabac est la principale cause de cancer, et de loin. De toutes façons, en général, on sait tout sur les effets du chanvre car c'est une plante consommée depuis toujours. Il est donc consternant de voir sortir de pareilles études, mais il faut dire que le domaine pharmaceutique et médical est encombré de ces fausses nouvelles et d'expériences mal menées dont on tire des conclusions hâtives. Ce qui est bien établi, c'est que le tabac est particulièrement cancérigène (il fragilise la protéine p53, principal agent anti-mutations) alors que le cannabis possède un certain effet anti-cancéreux (au niveau des poumons et du cerveau au moins). Ce n'est donc pas comparable et il faudrait inciter les fumeurs de chanvre à ne pas mélanger l'herbe avec le tabac plutôt que le contraire !

D'après Washington Post et MSNBC (6 juin 2006), le cannabis n'accroît pas les risques de cancer du poumon :

Une consommation importante et prolongée de cannabis ne semble pas entraîner de risque plus élevé de souffrir de cancer du poumon, concluent des chercheurs californiens.

Leurs conclusions se basent sur une étude épidémiologique de plus de 1 200 personnes de moins de 60 ans, dont environ la moitié souffrait d'un cancer du poumon, ou d'un cancer au cou ou à la tête. À leur grande surprise, admettent les scientifiques, les données recueillies révèlent que la consommation de cannabis n'accroît pas le risque de souffrir du cancer.

La surprise des chercheurs découle en partie du fait que la teneur en substances cancérogènes du cannabis est déjà bien documentée. Le goudron de cannabis contient, par exemple, jusqu'à 50 % plus de produits chimiques cancérogènes que le goudron de tabac.

Aussi, les fumeurs de cannabis ont tendance à inhaler plus profondément et à retenir leur souffle plus longtemps que les fumeurs de tabac, ce qui devrait, du moins en théorie, les rendre encore plus vulnérables à ses effets nocifs. En effet, selon le chercheur principal, le Dr Donald Tashkin, davantage de particules fines pénètrent alors dans les poumons.

Le Dr Donald Tashkin et son équipe de l'Université de la Californie, à Los Angeles, croient que cette absence de lien entre la consommation de cannabis et le cancer du poumon tient peut-être au THC, la substance active du cannabis. Le THC inciterait potentiellement les cellules âgées à mourir, réduisant les risques qu'elles ne deviennent cancéreuses.

Les résultats de cette étude ne sont pas encore publiés : ils ont été présentés au cours d'une conférence internationale de la Société thoracique américaine. Mais ils suscitent déjà l'intérêt des experts.

C'est une excellente chose de rétablir la vérité et de faire baisser la parano mise par le gouvernement et les médias. On peut considérer cependant qu'il est tout aussi irresponsable d'en rester là, comme si fumer du cannabis protégeait du cancer, ce qui est un peu gros tout de même, car il n'y a pas que le cancer du poumon (Bob Marley a eu un cancer au pied!). Moins on fume mieux c'est, c'est certain ! Fumer n'est pas bon pour la santé, ne serait-ce qu'à cause du monoxyde de carbone, surtout sur le long terme. Inutile d'aller imaginer des maladies imaginaires quand il y a des menaces bien réelles dont il faut informer les consommateurs. En dehors de cancers de la gorge, avérés semble-t-il chez les -35 ans, à cause d'une fumée bien plus chaude que celle du tabac (et dont la pipe à eau réduit le risque sans doute, c'est controversé, mais il faut au moins aspirer de l'air froid en même temps), il y a aussi des bronchopneumopathies chroniques (moins que le tabac) et des possibles problèmes circulatoires, dont l'artérite du cannabis qui était bien connue de la médecine coloniale d'antan (et pourtant très sous-estimée actuellement[1]). On pourrait éviter une bonne part de ces pathologies en mangeant le chanvre plutôt que de le fumer, mais, outre que ce n'est pas tout-à-fait équivalent, là encore, il ne faut pas se faire trop d'illusions, on ne peut éviter des effets indésirables, à la longue, notamment les problèmes de circulation sanguine et surtout la fragilisation de l'humeur qui peut être assez sévère (et s'aggrave avec l'âge mais tout cela ne concerne pas les fumeurs occasionnels, il faut normalement des années de consommation quotidienne!).

En effet, il faut savoir que le rôle des récepteurs du cannabis dans le cerveau est de réduire les signaux répétitifs (ce qu'on appelle l'inhibition rétrograde), ce sont des limiteurs de stress si l'on veut, d'où l'effet relaxant d'un joint. Seulement cela veut dire aussi qu'on perturbe cette régulation et qu'on répondra moins bien à un stress ensuite. C'est le mécanisme général de la dépendance, c'est-à-dire de l'habituation, de l'adaptation des régulations internes à l'apport externe, tout comme on a du mal à s'habituer à l'air raréfié des hautes montagnes (c'est le mécanisme de base de l'homéostasie, de la régulation biologique). Ce n'est pas une dépendance aussi impérative que les autres drogues, qui ne se révèle qu'en réaction au stress et qui demande beaucoup plus de temps pour s'installer, mais elle est indéniable après un usage prolongé (c'est ce qui fait que les gros fumeurs sont souvent hyperactifs!). Il faut dès lors un effort qu'on peut trouver parfois surhumain pour s'en dégager, même si la plupart du temps, on peut s'en passer sans problème. La perturbation de l'humeur finit malgré tout par être importante au fil des années, affaiblissant nos résistances (colères, dépressions suicidaires, angoisses ou simple fragilité affective). Cette perturbation de l'humeur peut de plus être dramatiquement amplifiée par des déséquilibres métaboliques comme des candidoses chroniques que le cannabis semble bien favoriser (il faut le savoir pour s'en prémunir).

Parmi les autres dangers du cannabis, il est aussi certain qu'on peut compter les accidents de la route quoiqu'en disent les fumeurs et même si, cette fois, c'est par rapport à l'alcool qu'il apparaît beaucoup moins dangereux. Il y a moins de morts avec le chanvre mais à l'évidence il faudrait éviter de rouler bourré ! Un des plus grands dangers, c'est de rester fasciné par un panneau ou un détail du paysage. L'instant d'inattention peut être fatal, heureusement pas tout le temps ! Sur le rôle de déclencheur de psychoses qu'on attribut aux premiers joints, je serais plus circonspect car on ne peut nier le phénomène malgré sa rareté, mais il semble difficile d'y voir autre chose qu'un événement déclenchant qui n'est pas déterminant en soi (une psychose n'est pas causée par un produit mais par une structure psychique ou un déséquilibre neurologique plus durable). Je conteste par contre les dommages cognitifs (j'y vois plutôt une nette amélioration dans la capacité d'établir des relations mais il est évident que fumer n'est pas favorable à un travail minutieux), les effets à long terme sur la mémoire étant à relativiser même si l'effet à court terme est bien connu. Les autres symptômes dit amotivationnels ou de repli sur soi sont réels mais réversibles, ce n'est pas l'essentiel. Enfin, le fait qu'on soit poussé à consommer plus de sucre ne serait pas si innocent qu'il semble (mais les méfaits du sucre ne sont pas encore assez reconnus et, en contrepartie, il permet de baisser la glycémie...).

Pour beaucoup (pour tous les ivrognes qui ne fument pas de cannabis en général), la messe est dite, c'est une substance nuisible ! Pas de chez nous en plus ! C'est pourtant une bêtise et pas seulement parce que nos colonies ont fini par nous rattraper, mais parce que cela reste la moins mauvaise des drogues et qu'elle n'est pas dépourvue de vertus. Elle fait même partie des quelques rares "panacées" (avec le "ginseng panax" ou la sauge) qui soulagent de tous les maux ou presque (réellement même s'il ne faut pas en attendre des miracles). Pour toutes sortes de malaises c'est un des meilleurs remèdes (mal au coeur, nervosité, certaines douleurs, insomnie, tristesse, ennuie...). C'est aussi un excellent aphrodisiaque. On lui trouve de multiples applications médicales (sclérose en plaque, cancer du cerveau, glaucome, pertes d'appétit, etc.) même si les premiers médicaments dérivés ne sont pas encore très concluants.

On peut penser qu'il est injuste qu'un bon produit puisse aussi nous faire du mal et entraîner (une minorité) dans la toxicomanie, mais c'est le cas pour tout remède (pharmacos en grec) qui peut être aussi poison, tout est dans la dose ! Ce n'est d'ailleurs pas le problème des drogues seulement, c'est le problème de la vie elle-même et de tout ce qu'on aime un peu trop, que ce soit la nourriture (le chocolat pour certains), la télévision, le jeu, le sexe, l'amour, le travail même... Beaucoup ne voyant que le mal (alors que là c'est le bien qui fait mal) voudraient interdire toutes les drogues. Ce n'est pas très nouveau (depuis Zarathoustra!) et l'on a gardé le souvenir de la prohibition américaine assez pour savoir que c'est pire encore, que cela nourrit le crime et produit plus d'alcooliques, avec des risques aggravés et une corruption généralisée. La tragédie d'Euripide "Les Bacchantes" racontait déjà la punition de celui qui avait voulu interdire le délire sacré. Héraclite y voyait notre part d'ombre et Platon, qui commence son dernier dialogue (Les Lois) par une étonnante défense des beuveries, en fait l'indispensable apprentissage de la maîtrise de soi et le miroir de l'âme (in vino veritas).

Les drogues n'ont pas que des mauvais côtés, elles remplissent même des fonction essentielles, au point qu'il n'y a pas de société humaine sans drogues. Il paraît même que notre sensibilité aux drogues fait partie des rares différences génétiques que nous avons avec les chimpanzés. C'est un fait qu'il n'y a pas de fêtes sans drogues et sans bonnes cuites. On y recourt souvent dans les guerres, dans le travail (du moins dans le travail de force à coup de gros rouge), etc. Les psychostimulants agissent comme des neurotransmetteurs sociaux égalisant l'humeur d'une compagnie devenue plus sociable. Le caractère décisif pour notre évolution n'est peut-être pas là pourtant mais plutôt dans son usage "psychédélique" de libération de l'imaginaire, dans le chamanisme, les rituels, la divination mais surtout dans l'innovation sans doute (comme aujourd'hui dans la créativité). Le détachement du contexte est essentiel, le "dérèglement de tous les sens", la modification de la perception qui permet de percevoir le système de perception lui-même, de l'éprouver (Are you experienced ?). Il semble difficile de s'en passer pour penser, comme le savaient déjà les Perses d'après Hérodote, tant notre pensée est conformiste d'ordinaire. Impossible d'en lister tous les autres usages intriqués à chaque moment crucial de notre vie (dans le mariage par exemple où l'ivresse vise à faire obstacle à sa consommation!). Il serait bien fou de prétendre tirer un trait sur tout cela, mais le coût n'en est pas négligeable pour autant, manifestant toute son ambivalence et le caractère contradictoire de l'existence.

La question des drogues, et du cannabis en particulier, est une question risquée, mais ce n'est pas une question folklorique pour autant, et qu'il faudrait prendre à la légère ou bien en faire un simple enjeu électoral alors que cela devrait être une question de santé publique et de pacification sociale (le trafic illégal nourrit la violence). C'est une question fondamentale qui met en jeu notre être-ensemble, notre convivialité et notre communauté politique, voire la crédibilité de l'ordre établi. Il faut se rendre compte de la contre-productivité des lois actuelles, faites pour ne pas être appliquées. La répression de la moins dangereuse des drogues est bien criminelle (et pousse au crime). C'est une absurdité de faire des lois inapplicables ne servant qu'à culpabiliser les citoyens et les livrer à l'arbitraire policier. Ce n'est pas qu'il n'y ait aucun problème, mais qui veut faire l'ange fait la bête ! Il convient d'essayer de faire, autant que possible, toute la vérité sur le sujet pour une véritable politique de réduction des risques, pour des êtres humains comme nous, avec toutes leurs faiblesses, loin des fantasmes fascisants d'une société purifiée tout comme de l'angélisme libertaire. Que chacun puisse gérer ses dépendances en toute connaissance de cause de risques bien réels, que ce soit pour le chanvre, le tabac ou l'alcool.

Il vaudrait mieux s'en passer sans doute, tant qu'on peut, mais tout dépend de ce qu'on en fait. On ne peut dire que le jeu n'en vaut pas la chandelle, même à en mourir. Cela dépend au moins des circonstances et du jeu qu'il faudrait jouer pour accepter de vivre sans. On peut d'ailleurs penser qu'en aidant à vivre ces béquilles chimiques puissent aussi prolonger l'existence d'un certain nombre. De toutes façons, l'idéal de la vie ne peut être de ne prendre aucun risque, du moins il faut les connaître et ne pas s'imaginer qu'on n'aura jamais que les bons côtés (un positif sans négatif). Rien de pire que de nier les faits.

Justifiant à l'avance son suicide dans son dernier téléfilm, Guy Debord, alcoolique notoire, et qui n'aimait pas les drogués (!), écrivait de sa douloureuse polynévrite qui le poussait à en finir : "C'est le contraire de la maladie que l'on peut contracter par une regrettable imprudence. Il y faut au contraire la fidèle obstination de toute une vie". Rien ne sert des regrets une fois la fin venue ! "Nous savons donner notre vie toute entière tous les jours" (Rimbaud, Matinée d'ivresse).

Notes

[1] Sans vouloir gonfler un problème qui ne concerne a priori qu'un très petit nombre de gros fumeurs, la méconnaissance générale de l'action du cannabis sur la circulation m'a incité à rajouter une note à ce sujet : Pour ce que j'en ai compris, l'artérite du cannabis est très semblable à l'artérite du tabac (analogue à la maladie de Buerger ou à celle de Horton ou encore la "pseudopolyarthrite"). C'est une inflammation des artères, sous l'effet vasoconstricteur du THC (ou du rôle du cannabis dans l'inflammation?), ce qui peut boucher les petits vaisseaux, réduisant l'irrigation sanguine. Le risque le plus grave lorsque ce n'est pas diagnostiqué à temps c'est l'amputation ! Plus ordinairement, cela se traduit par une insuffisance cardiaque à cause d'une mauvaise irrigation du coeur ("ischémie myocardique", il faut savoir que l'action anti-cancer du cannabis est due au fait qu'il détruit les vaisseaux sanguins irriguant les tumeurs! D'un autre côté il provoque une vasodilatation dans d'autres organes, provoquant ainsi une conjonctivite injectée qui donne les "yeux rouges"). Les premiers signes d'une inflammation des artères peuvent être une sensibilité du cuir chevelu et du front, des fourmillements dans les membres et des crampes ou une "claudication", des maux de tête au niveau des tempes et des étourdissements, une mâchoire douloureuse, une vision troublée, des problèmes d'audition, un mal de gorge persistant, des raideurs surtout au niveau du cou et des épaules, fatigue voire fièvre, etc. Symptômes bien ordinaires qui n'ont rien de spécifique et peuvent être simplement le signe d'une mauvaise circulation (ou d'autre chose). Des tests sanguins sont nécessaires pour confirmer (ou non) le diagnostic. Le traitement consiste en général en corticoïdes (ce qui n'est pas sans dangers) et implique l'arrêt du cannabis et du tabac. La consommation de café associée habituellement au cannabis n'est sans doute pas recommandable dans ce cas. L'exercice et les plantes comme le ginkgo biloba ou l'ail pourraient peut-être aider à prévenir ces effets indésirables (qui ne concernent, je le rappelle, qu'un petit pourcentage de fumeurs réguliers et sont la plupart du temps sans grandes conséquences) ? En contrepartie il faut dire que le cannabis a un effet hypotenseur et qu'à très petite dose il constitue même un excellent anti-inflammatoire !